Problématique et enjeux
Présentation générale
En Mécanique des Milieux Continus la loi de comportement permet de "fermer le système" c'est-à-dire de compléter, par une relation entre contraintes et déformations, l'ensemble des équations permettant de formuler puis de résoudre un problème de structure.
Dans cet ensemble d'équations, ces lois de comportement jouent toutefois un rôle très particulier car c'est par leur intermédiaire que l'on pourra prendre en compte la nature du matériau utilisé. C'est cela qui changera lorsque, pour fabriquer une pièce donnée, on voudra, par exemple, remplacer l'acier par un matériau composite.
Or, dans notre introduction à la MMC et après en avoir établi les bases - générales et donc indépendantes du matériau - nous nous sommes rapidement limités au cas de l'élasticité linéaire(<) et plus spécifiquement à la loi de Hooke (<) (élasticité linéaire isotrope) . C'est effectivement, et au-delà de son intérêt pédagogique, un modèle important et très largement utilisé dans les applications. Il est toutefois très particulier, et il est souvent nécessaire d'aller au-delà et d'utiliser des lois de comportement plus proches de la réalité et donc mieux adaptées au problème étudié.
La présentation, la construction et la discussion de ces modèles sont l'objectif principal de ce cours.
L'offre et la demande
Relativement confinée au monde académique jusqu'aux années 1970, cette thématique a depuis connu un développement considérable. Cette évolution résulte, comme souvent, de la rencontre d'une offre et d'une demande.
La demande émane du secteur applicatif et du monde industriel. Les exigences toujours accrues d'optimisation économique, et plus récemment écologique, imposent en effet une connaissance et une maîtrise toujours meilleures des matériaux, de leurs performances et de leur capacité à répondre, au moindre coût (économique et/ou écologique), aux besoins multiples et multiformes de la Société.
L'offre résulte des progrès technologiques réalisés dans différents domaines, mais l'élément déterminant, je suis même tenté d'écrire déclenchant, a été le développement de l'informatique. Lorsque les précurseurs ont lancé la méthode des éléments finis (<), un calcul élastique simple mobilisait à temps plein un gros centre de calcul. Aujourd'hui, un PC de base vous fera ce même calcul sur le coin de votre bureau pendant que vous éliminez les spams de votre messagerie (tout progrès engendre ses propres pollutions !). Les méthodes numériques ont suivi et permettent d'appliquer à des situations réelles et à des problèmes industriels des modèles de comportement qui, auparavant, relevaient de la pure spéculation intellectuelle.
En parallèle et tout aussi important, il faut rajouter le développement de la métrologie et de l'instrumentation pour la réalisation des essais mécaniques indispensables. Dans ce domaine également les progrès ont été considérables – là encore l'informatique a d'ailleurs joué un rôle essentiel.
Modélisation, Identification, Calcul
Le choix d'un modèle de comportement est donc une étape essentielle dans la modélisation d'un problème réel. La démarche générale pour ce choix s'articule en trois étapes.
Etape 1. Modélisation. Il faut choisir, dans l'ensemble des modèles existants sur le marché, le modèle qui convient. Le catalogue est vaste et l'objectif principal de ce cours est d'en présenter les grandes familles et de vous donner quelques repères et éléments de méthodologie/classification dans cet ensemble foisonnant et parfois hétéroclite. Comme en confection, vous pouvez vous habiller
- en mesure industrielle, c'est-à-dire utiliser tel quel l'un ou l'autre des modèles que nous présenterons ou évoquerons et qui sont d'ailleurs souvent implantés dans les codes industriels,
- en couture artisanale, en combinant des éléments pris ici et là pour confectionner le modèle adapté à votre besoin,
- voire en haute couture, en déclenchant un programme de recherche, si le modèle dont vous avez besoin n'existe pas.
Bien évidemment, les coûts et les délais ne sont pas les mêmes.
Etape 2. Identification. Une fois choisi le modèle, il restera à déterminer la valeur numérique des coefficients (et éventuellement la forme des fonctions) qu'il fait intervenir. Cette identification sera (presque) toujours basée sur l'expérience et les résultats d'essais mécaniques. Nous y avons déjà consacré une page importante (<) mais il nous faudra bientôt aller plus loin (>) .
Cette étape sera également, dans ce cours, une préoccupation constante, et nous discuterons, pour chaque modèle, les essais nécessaires à son identification.
Etape 3. Calcul. Le modèle ayant été choisi puis identifié, il ne reste plus qu'à trouver la solution. C'est le domaine du Calcul des Structures et de la Méthode des Eléments Finis (<) . Nous ne nous intéresserons pas spécialement aux algorithmes et aux méthodes numériques utilisées ou utilisables, toutefois il faut toujours conserver à l'esprit que les modèles que nous développons ont pour vocation d'être intégrés dans un code de calcul par éléments finis. La plupart des codes industriels proposent un important catalogue de modèles et beaucoup d'entre eux offrent des modules permettant, par une programmation légère, d'en introduire de nouveaux.
Qualité vs Prix
Pour ce choix, comme dans la vie de tous les jours, il convient d'optimiser le rapport Qualité/Prix ; mais que représentent dans ce contexte la qualité et le prix ? Pour le prix, il faut intégrer le coût des trois étapes dégagées précédemment.
- En général l'étape de modélisation ne coûte pas cher : tout ou presque existe et est à disposition. Un peu d'expérience, une bonne connaissance des ressources et beaucoup de bon sens suffisent. Les investissements ont déjà été faits.
- Le calcul de structures a pendant longtemps été le facteur limitant, ce n'est plus vraiment le cas aujourd'hui, même si subsistent encore quelques "calculateurs de l'impossible". Lorsqu'il est possible, le coût du calcul n'est en général plus un problème majeur.
- C'est en fait l'étape d'identification qui coûte cher, au travers des essais mécaniques qu'elle nécessite. Pour un matériau donné, et en fonction du modèle retenu, il faudra souvent développer un programme expérimental spécifique.
La qualité correspond bien évidemment à la fidélité du modèle dans sa description des phénomènes importants pour le problème considéré selon le matériau, ses conditions de sollicitation (température, vitesse,...) et surtout en fonction de l'objectif visé. Souvent très sommaires dans les premières étapes de pré-dimensionnement, les modèles utilisés devront progressivement se raffiner au fur et à mesure que l'on avancera dans le projet - descente d'une démarche en V (w).
Dans la mise en oeuvre d'un procédé d'emboutissage par exemple, les premiers calculs se feront souvent dans une approche purement géométrique, en négligeant complètement les aspects mécaniques, alors que le calcul final utilisera, par exemple, un modèle élasto-plastique anisotrope en grandes transformations avec écrouissage isotrope et loi non associée. Nous préciserons plus loin la signification de ces différents termes .
Il s'agira, pour chaque problème, de choisir le "modèle vraiment nécessaire et juste suffisant", c'est-à-dire le plus simple possible (juste suffisant) mais prenant en compte tous les phénomènes susceptibles de jouer un rôle important (vraiment nécessaire). C'est tout l'art de l'ingénieur.
Rhéologie et Tribologie
Nous nous intéresserons donc dans ce cours à la Rhéologie (ainsi dénomme-t-on souvent la description du comportement, je reviendrai un peu plus loin sur cette terminologie). Nous avons toutefois, dans le cours d'Introduction à la MMC, insisté sur l'importance des conditions aux limites et de la modélisation du contact voir par exemple le cas du bloc pesant (<) ou de l'écrasement d'un bloc (<) –. C'est le domaine de la Tribologie. J'en parlerai peu mais la modélisation des conditions aux limites est souvent aussi importante que celle du comportement volumique – lorsque nous avons créé le LTDS, j'avais clamé, et j'ai sans doute écrit quelque part, "La mécanique volumique est (largement) faite, la Mécanique surfacique reste à construire" –. Aujourd'hui 20 ans plus tard les choses ont beaucoup progressé, mais on est encore loin du compte.